La bataille de la réinsertion

Une salariée vient compléter son dossier à la Régie de quartier du 10e arrondissement de Paris. © Romain Cluzel

Une salariée vient compléter son dossier à la Régie de quartier du 10e arrondissement de Paris. © Romain Cluzel

Du pied-à-terre enfin trouvé au premier CDD, le chemin vers la réinsertion est souvent long, et semé d’embûches. Emmaüs et La Régie de quartier accompagnent à chacune de ces étapes ceux qui cherchent à s’en sortir.

« Un vrai parcours du combattant », lance Manuel Domergue, chargé d’études pour la Fondation Abbé Pierre. Avant même la réinsertion professionnelle, la fondation met la priorité sur le logement. Au niveau des administrations étatiques et communales, c’est la même logique qui s’impose. La fondation soutient d’ailleurs la campagne « Logement d’abord », lancée en 2009 par le gouvernement. « Sans un point de repère fixe, c’est quasiment mission impossible de chercher un travail, de répondre à une annonce et d’être dans de bonnes conditions pour passer un entretien d’embauche », affirme Manuel Domergue.

 

Claire Mermoz, conseillère socio-professionnelle de la Régie de quartier du 10e arrondissement de Paris. © Romain Cluzel

Claire Mermoz, conseillère socio-professionnelle de la Régie de quartier du 10e arrondissement de Paris. © Romain Cluzel

Les pouvoirs publics veulent faire du « bon affichage » avec les politiques de logement, dit-il. Mais si les intentions semblent bonnes, les actes politiques peinent à se concrétiser. « La loi Alur de 2014 était plutôt positive, elle faisait de l’État un garant universel pour les loyers. Cela permettait aux personnes en situation de précarité de pouvoir accéder à la location », explique Manuel Domergue. Mais le trentenaire tempête contre le gouvernement qu’il estime trop soucieux d’équilibre budgétaire plutôt que de bien-être social. « La loi a été votée et pourtant, Manuel Valls a déclaré qu’il ne l’appliquerait pas pour une histoire de financement ! » En juin 2014, le premier ministre avait en effet indiqué que le principe de la garantie universelle était « généreux, mais que son financement n’avait pas été assuré par la loi. » Il a donc demandé un « temps de réflexion » pour le gouvernement avant de l’appliquer. Depuis, aucune nouvelle sur ce front, tandis que la loi Pinel de 2015 apporte une autre alternative via la défiscalisation des bas loyers. Mais en réalité pour les sans-abris, l’essentiel de l’aide continue de venir des fondations et des associations de proximité.

Reprendre ses marques

Au bord du canal Saint Martin, la façade de l’immeuble est recouverte d’un alignement de panneaux solaires. Ici, Emmaüs loge près d’une centaine de personnes de tout âge, des familles avec enfants aux personnes en pré-retraite. Ces logements d’Emmaüs ont surtout vocation à donner aux bénéficiaires une adresse fixe, et une sérénité pour se consacrer à la réinsertion administrative. Les bénéficiaires restent parfois plus longtemps que prévu. « Certains de nos contrats d’hébergement étaient censés durer 18 mois », indique la chef de service du centre d’hébergement. « Pourtant nous avons des personnes qui sont là depuis quatre ans. »

Une salariée vient compléter son dossier à la Régie de quartier du 10e arrondissement de Paris. © Romain Cluzel

Une salariée vient compléter son dossier à la Régie de quartier du 10e arrondissement de Paris. © Romain Cluzel

 

Dans le centre, l’accompagnement se soucie surtout des premières étapes de la réinsertion. « Il faut les remettre en contact avec l’administratif : les papiers d’identité, Pôle emploi, mais aussi l’accès aux soins », détaille la chef de service. Bref, repartir à zéro. Certains hébergés étaient à la rue depuis 30 ans. « Dans ces cas-là, le rapport aux soins est très difficile à aborder », continue la chef qui, par modestie peut-être, a insisté pour ne pas donner son nom. Les démarches, parfois fastidieuses, ont pour objectif de remettre sur pied ces personnes sans repères, et leur permettre de regagner leur autonomie. Après quelques mois au centre, il y en a qui savent gérer seuls leurs demandes de logement et leurs démarches de santé. « On continue à les suivre, mais c’est déjà une réussite lorsqu’ils atteignent cette autonomie. Ils se débrouillent, ils vivent leur vie. »

Chaque année pourtant, seules deux personnes parviennent à trouver un domicile plus stable et à quitter le centre. La pénurie de logement à Paris reste en effet un blocage majeur pour les anciens SDF qui cherchent un appartement. Ils sont également nombreux à ne plus être vraiment destinés à la réinsertion, admettent les responsables d’associations. Handicaps, maladies ou troubles psychiques… les années de précarité et les passages de longue durée dans la rue affectent les corps et les esprits. Les problèmes de santé sont d’autant plus un frein que beaucoup d’emplois non-qualifiés proposés par les associations requièrent une certaine forme physique : des travaux au du nettoyage, en passant par la sécurité. Un facteur éliminatoire pour la majorité des plus de 50 ans. Avec un parcours en dents de scie, la plupart sont déjà très marqués par des travaux difficiles. On installe alors ceux qu’on peut dans la structure dite « pension de famille » au sein du centre d’hébergement d’Emmaüs, où les plus démunis touchent des allocations de handicap ou familiales, et parfois une pension de retraite.

 

Des salariés qui reviennent de loin

Pour les profils capables de se réinsérer professionnellement, Emmaüs propose aussi des actes de candidatures. Deux personnes du centre travaillent ainsi en parallèle à « la Régie », de l’autre côté du canal. Lorsque l’on ouvre la porte de la Régie de quartier du 10e arrondissement, on découvre un petit open-space un peu en désordre, « en flux créatif », comme disent les animateurs. Pêle-mêle dans la pièce, des sacs en plastique pleins à craquer de vêtements, quelques bureaux avec des ordinateurs à usage libre, et des gobelets de café dans une petite cuisine. Ici, une trentaine de salariés précaires sont suivis en permanence. Et sur ces 30 bénéficiaires du « tremplin d’emploi », on retrouve 25 nationalités différentes. « Ça fait qu’on mange bien tous ensemble », sourit Claire Mermoz, conseillère socio-professionnelle du lieu.

Deux salariées vient compléter son dossier à la Régie de quartier du 10e arrondissement de Paris. © Romain Cluzel

Deux salariées vient compléter son dossier à la Régie de quartier du 10e arrondissement de Paris. © Romain Cluzel

Sami, sourire à pleines dents et un oeil de verre, fouille dans des papiers sur le bureau en papotant avec l’équipe permanente. Armelle, ancienne bénéficiaire, passe en coup de vent. Le teint halé, la trentaine, elle vient faire des photocopies et donner des nouvelles. Ici, tout le monde entre et sort en permanence. Les trois conseillères, jeunes et dynamiques, jonglent constamment entre leurs dossiers, le téléphone et le dialogue. Les contrats qu’elles proposent sont généralement à mi-temps, souvent dans les secteurs du maintien des espaces verts, du nettoyage et des travaux d’électricité. Les principaux employeurs sont ERDF et la mairie. Par son travail, la Régie s’autofinance aux deux-tiers, le solde provenant de subventions publiques.

La durée des CDD peut varier, mais la plupart sont de deux ans. Pour décrocher un job, aucune connaissance préalable n’est requise. Il suffit de vivre dans le quartier et de montrer une envie de s’impliquer lors des premiers entretiens. En parallèle de l’emploi à mi-temps, sont également mis en place un accompagnement administratif et une formation à la langue française.

L’équipe de conseillères tient à l’épanouissement personnel des salariés, car c’est l’évolution de leur situation globale qui prime. C’est à cela qu’on mesure la véritable réussite du projet, assure Claire Mermoz. L’évolution n’est pas toujours linéaire et les points de difficulté reviennent en permanence. Elle décrit, par exemple, le cas d’une femme, exclue de son appartement, qui avait perdu la garde de ses enfants et qui « croulait sous les procédures judiciaires. » Le travail qu’elle a trouvé grâce à la Régie lui a permis, en moins d’un an, de récupérer ses enfants. « Même si elle est ensuite partie en claquant la porte, si tu compares avec là où elle en était… » soupire Claire, une mèche flottant dans l’air. Logement, santé, addictions diverses et problèmes familiaux sont des enjeux qui s’emmêlent souvent pour ceux en détresse. Tout au long du parcours, il faut savoir gérer des changements de situation de famille, et pour les plus jeunes, le passage des 26 ans qui fait perdre de nombreuses aides au logement. Un domicile stable demeure la clé de l’accès à un emploi. « C’est comme la pyramide de Maslow », affirme Claire, intarissable sur son sujet. « S’il a faim ou s’il ne sait pas où il va dormir, il ne peut pas se projeter dans l’avenir », poursuit-elle.

 

Une salariée range un jean dans un des sacs de récupération de vêtements installés à la Régie du 10e arrondissement de Paris. © Romain Cluzel

Une salariée range un jean dans un des sacs de récupération de vêtements installés à la Régie du 10e arrondissement de Paris. © Romain Cluzel

Pendant que Claire parle, un homme en âge de la retraite, moustache blanche et traits tirés, pénètre dans la Régie. Il vient déposer timidement son appareil photo. « Il marche encore, j’espère que ça pourra servir. » L’équipe est ravie. Puisant sa force dans la proximité, la Régie propose des initiatives qui incitent aux échanges de quartier. Entre autres, la « Récup’ », une collecte de vêtements et d’appareils électroniques encore utilisables, ou bien le « Livre circule », une bibliothèque participative. Ces rencontres doivent permettre de contrecarrer un défi important : le décalage qui se crée entre les bénéficiaires de la Régie et les abords du canal Saint-Martin, qui s’embourgeoisent à grands pas. « Les gens du quartier préfèrent déposer leurs affaires ici en sachant qu’elles vont être réutilisées par leurs voisins », explique la conseillère.

Habitant elle-même le du 10e, Claire croise souvent les salariés de la Régie au jardin municipal ou en faisant ses courses au supermarché. Des rencontres régulières qui lui donnent l’occasion de prendre des nouvelles de ses anciens salariés. « On leur redonne une structure de vie, on continue à les suivre, mais malheureusement on ne peut pas savoir ce qui va leur arriver professionnellement », indique-t-elle. Conscientes que les situations professionnelles demeurent souvent fragiles, Claire et ses collègues n’ont pourtant pas à rougir de leur succès. Après deux ans, tous les salariés de la Régie ont retrouvé un logement stable.

 

 

Gilda Di Carli et Romain Cluzel

 

Leave a comment